1 heure, 24 minutes et 53 secondes … C’était le laps de temps qui s’était écoulé entre le moment où j’avais abandonné l’idée de télécharger illégalement le dernier film en date, et celui ou je m’étais rendu compte que ma vie était vraiment … lamentable ? Et c’est bien mal qualifié …
Oui, je glandais littéralement sur mon « personal computer » en attendant que le temps passe, car encore une fois je n’avais pas dormi de la nuit.
A vrai dire, encore une fois j’essayais d’apporter un minimum de piquant à mon pauvre quotidien, histoire de … Ne pas me coller l'étiquette maniaco-dépressive , ne pas cocher la case Burn-out, et ne pas me réfugier dans le dernier espoir qu’apporte le suicide aux gens qui en ont besoin.
Quoi que ça en ferait que 668 529 cette année, à non … 668 530, qui dit mieux ?
Mais qu’est-ce que je foutais sur ce site à la con ?
Ça devait donc faire 1 heure et 30 minutes, que je restais immobile devant le site Worldometers, à fixer ces chiffres sans réels sentiments ou sensations, c’était juste des chiffres qui défilaient sans cesse devant mes yeux… Après tout en quoi ça m’importait de savoir combien on était sur terre .
On était 7 060 016 855 et plus chaques secondes sur cette foutue planète … C'est-à-dire beaucoup trop à mon goût, ces chiffres me donnaient presque mal à la tête …
Il restait 15 085 jours jusqu'à la fin du pétrole, 60 512 jours jusqu'à la fin du gaz et 151 682 jours jusqu'à la fin du charbon, bref on était dans la merde … Sans parler du compteur du nombre de « Tweet » postés dans la journée, qu’est-ce qu'on s’en branle … fous …
Je ne savais pas trop à partir de quel moment ma vie avait aussi mal tourné … Est-ce que c’était le jour où mon idiot de frère était né ? Ou celui où mon père avait trouvé bon de commencer à me coller des mandales sans raison réellement valable ?
Ah non, voila … maintenant je m’en rappelais …
Ce jour-là je m’étais levé la tête dans le cul et le cul dans le brouillard pour la 5844 éme fois depuis maintenant quinze ans, mouais je n'ai jamais été très matinal …
C’était le sept juillet, et je venais d’avoir quinze ans, à ce moment là j’étais plutôt joyeux et sympa, oui c’est possible !
La journée se passait comme d’habitude, j’étais en bas entrain de petit déjeuner avec ma mère et mon frère, il devait être 7h30 , on entendait déjà les pas lourdauds de mon père dans l’escalier menant au second étage de la baraque, Oui parce que monseigneur le lourdaud au ventre gonflé à la guiness, avait eu assez de couilles dans la vie pour les dandiner fièrement sous son beau peignoir en soie brodée, dans sa belle villa, ce sale rat …
Tient tant qu’on y est, décrivons un peu la charmante famille !
Mon père, aussi abjecte et repoussant qu’il pût l’être à mes yeux, était malgré tout considéré comme « un homme de bonne société » ou un truc du genre, Il était le chef d’un petit cabinet d’architecture pas mal réputé à Shanghai, c’était d'ailleurs lui qui avait tracé les plans de notre belle maison …
Un homme froid, violent et cupide, voila ce qui pourrait le décrire au mieux selon moi …qui étais son punching ball attitré, mais chut, il ne fallait rien dire, sinon maman elle pleurera …
Ça, cette satanée autruche de mes deux, c’était mon frère … Monsieur perfection, jamais, des 400 coups que j’avais pu faire durant ma courte vie celui-ci ne m’avait suivi …
Il se contentait de respecter les « Lois » de la famille, et de faire l’autruche quand cela pouvait lui être utile, par exemple quand je hurlais, quand je suppliais mon père de me lâcher, ben là ça lui était plutôt utile de faire le dos rond et de dire « tout va bien dans le meilleur des mondes » … foutu Marley…
Croyez- moi, si chaque fois qu’il avait fermé les yeux, et joué les Saint Pierre derrière, on m'avait donné un peu de fric, moi aussi je me serais fait des couilles en or …
Mais au-delà de ça , il y avait ma mère … Et pour elle je voulais bien supporter n'importe quel supplice tant qu’elle était là …
Elle, elle travaillait dans l’immobilier , charmante petite secrétaire dans le bassin des requins, elle s’en sortait à merveille, jonglant entre le boulot et notre éducation, elle était belle, jeune et fraiche même après nous avoir supportés chacun 9 mois .
Jamais elle n’avait levé la main sur moi, et j’étais très proche d’elle, vraiment .
Oui cette journée aurait dû se passer comme tous les autres, papa aurait dû faire semblant d’être gentil avec moi, mon frère aurait un peu desserrer son string pour rire avec nous, maman aurait préparé un délicieux dessert, et la vie aurait suivi son train train ennuyeux à mourir …
Seulement voilà … il suffit d’une sonnerie de téléphone, d’une onde sonore pour tout détruire, avez vous à déjà parlé de l’effet papillon .
flashback
La petite famille, qui ressemblait à celle des publicités Ricoré, déjeunait tranquillement en ce dimanche matin, seul le bruit des couverts qui s’entrechoquaient, du bacon qui grillait dans la poêle, ou des céréales versées dans un bol venaient déranger un calme uniforme …
Bobby se tenait, les yeux à demi clos face à son frère Marley, déjà lui bien réveillé, engouffrant ses céréales à la vitesse d’un lance-pierre.
Le père feuilletait son journal de ses yeux vide et ternes, presque dénués de cette lueur d’intelligence qui fait le charme de la plupart des êtres vivants.
Quand à la mère, elle se tenait chantonnant aux Fourneaux « happy birthday, To you … », le sourire aux lèvres et l’humeur dansante, servant les enfants et le père tour à tour.
Oui, tout ceci ne pouvait être mieux, c’était cette vision de la mère de famille calquée sur une Barbie avec quelques neurones en plus, cette vision plastifiée et pailletée de la vie en rose qu’on aimerait plus souvent avoir, juste pour voir ce que ça fait, juste pour oublier les petits soucis de la vie, pour oublier les gros problèmes …
Mais les gros problèmes eux, ils ne nous oublient jamais …
Une sonnerie de téléphone retentit dans cette ambiance bucolique, une sonnerie toute bête, vous savez, un peu comme celle qu’il y a dans les films policiers quand une joggeuse bien roulée découvre un cadavre derrière le grand pin entouré de rochers, ou dans le petit ruisseau qui coulait juste à côté.
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M’man téléphone…Bobby s’empara du portable pour l’apporter à la femme, qui semblait perdue dans ses pensées, peut-être était-ce à cause des odeurs ?
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Maman …La femme se retourna en hâte, ébouriffa les cheveux de son fils et l’embrassa sur le front avant de répondre au téléphone. Au début elle avait l’air joyeuse, mais … bien vite elle blêmit, elle se mit à trembler, haletante, au bord de la chute, prête à pleurer, elle avait perdu le fil de la réalité, elle avait tout perdu, tout était ouaté autour d’elle …
Elle se crispa, recula de quelques pas, avant de basculer et de se rattraper in extrêmise au plan de travail de la cuisine.
Tous se levèrent d’un bon, un seul pour se retrouver autour d’elle.
Le verdict était tombé, un cancer du foie, joyeux anniversaire Bobby …
fin flashback
Un putain de cancer du foie, pourquoi, POURQUOI ? À la base, c’était juste quelques nausées, quelques vomissements …
Mouais, je pense qu’à partir de ce jour ma vie a quelque peu … basculé ?
Ma mère reste maintenant au lit, incapable de se lever, comme une petite créature fragile terrée au fond de son terrier, la mort toujours aux trousses.
Antibiotiques antitumoraux, agents alkylants, antimétabolites étaient devenus mon quotidien … J’avais même fini par devenir pote avec la pharmacienne, celle qui m’attendait tout le temps avec un air grave et plein de pitié … j’en voulais pas de sa pitié …
J’étais tout seul à m’occuper d’elle, entre l’autruche qui pleurait toutes les nuits, et l’alcoolique qui passait encore un peu plus ses nerfs sur moi, je sombrais.
Dans ma décadence j’ai commencé à toucher à des choses stupéfiantes, vous savez le genre de chose qui vous laisse en extase, loin de tout et de tout le monde, le genre de choses qui vous attire pas mal d’ennuies …
Voilà c’était devenu ma vie, me battre pour vivre, et vivre pour me battre, rendre les coups à mon père, entendre hurler mon frère, et voir pleurer ma mère …
À la mort de ma mère, et je l’attendais patiemment, je savais qu’elle arriverait et je m’y étais préparé … peut-être un peu trop, je n’ai pas pleuré, j’étais le seul, le seul être insensible présent à cet enterrement …
C’est de ma propre volonté que je me suis mis à apprendre le coréen en accéléré, heureusement pour moi j’avais toujours été très doué en langue, dans le but d’aller la haut, ça avait l’air paumé, c’était parfait pour moi …
Maintenant on est 7 060 048 642, c’est toujours trop, mais il manque une personne …